Malgré l'absence de mises à jour, il y a encore des gens qui trainent ici de temps en temps. Google fait son boulot, il ramène les fans de mafalda, les gens qui en
ont marre des motocross, ceux qui veulent voir une photo d'une chaîne de fourmis... et des intellos... des jeunes qui se demandent comment devenir intello (comment être intello en 6e....??? wtf!?
* , comme dirait mon geek de copain) , des gens à qui "on [...] reproche d'être intello" et des gens qui ont juste écrit "j'en chie" dans leur moteur de recherche.
Tous les mois, des gens en chient et l'écrivent à Google, comme un témoignage, parce qu'ils n'ont personne d'autre à qui le dire, sans doute. Parce que c'est
vulgaire, c'est vrai, c'est difficile quand la boulangère, ou sa collègue de bureau, nous demande si on va bien, de répondre "j'en chie", même si c'est exactement ce q'on ressent.
Tout ça pour dire, vous qui en chiez, vous n'êtes pas seuls, même si mon article à moi date un peu, vous n'êtes pas les seuls à dire à Google que vous en
chiez.
Et moi dans tout ça, diront les rares qui sont venus là en tapant vraiment "lintello du desssous" dans leur moteur de recherche? Ils se demandent comment on tourne
quand on a manifesté masquée contre les abus des stages , qu'on a un diplome d'ingénieur mais pas une once de combativité pour défendre son bifteck,
et qu'on a claqué la porte de son boulot d'informaticien dans une grosse boîte avec des RHs trop gentilles qui me demandaient le plus sérieusement du monde si
j'envisageais une belle carrière dans une boîte qui m'avait embauchée à niveau bac+2, m'avait fait changé de métier 4 fois en 2 ans (oui, y a plusieurs métiers dans l'informatique) et attendait
patiemment que Chicago trouve dans mes évaluations de bonnes raisons de faire passer ma promotion avant les dividendes des actionnaires, dont j'avais même le droit de faire partie si j'avais des
sous en trop sur mon salaire, ce qui n'était pas vraiment le cas. Ben eux j'osais même pas leur répondre. Parce que oui, voilà, je sais toujours pas trop défendre mon bifteck, au bout de trois
mois de non travail, je m'emmerdais, mais j'avais pas de réponse à mes courriers pour faire autre chose que de l'informatique. Et on me contactait, des fois, mais c'était toujours pour faire de
l'informatique, en banque, en assurance, youpi tralala, exactement ce pour quoi j'avais dit que ça valait pas le coup de se faire chier...
Alors je vous le donne en mille, j'ai fini par me réinscrire à une formation, une qui me faisait pas perdre mon chomage, qui m'apportait pas grand chose mais qui me
permettrait de dire que j'avais un vrai projet professionnel en quittant ma boîte. Je me suis tapé 3 mois de cours pas terrible sur de la qualité, de la sécurité, et de l'environnement, par un
gars qui avait pas remis ses cours à jours depuis 2006. J'ai fini par sécher ses cours, ça me rendait agressive. J'ai failli accepter un boulot chez Alten, systèmes d'informations youpi mais en
industrie pour changer, et puis allez savoir pourquoi, après m'avoir fait une proposition, le gars a arrêté de répondre à ses mails et il a plus jamais pris mes appels. J'ai essayé de l'appeler
en passant par l'accueil (il est peut-etre mort on sait jamais), et après l'avoir bien pourri mentalement, ce crétin qui est même pas foutu de prendre son téléphone pour dire "désolé, j'ai merdé,
j'avais pas le droit de dire que je vous embauchais" , j'ai renoncé à le pourrir en vrai auprès de son patron, enfin j'ai pas eu le temps, j'avais d'autres chats à fouetter, fallait que je me
dépêche de trouver un boulot avant d'être obligée de refaire... un stage. Voilà, on y vient au truc honteux. J'ai essayé de repasser des entretiens, même pour faire de l'informatique dans la
banque, mais j'ai pas réussi. B.. de m.. Et si je quittais la formation sans raison "sérieuse" (en gros, handicapée ou embauchée) je devais rembourser la Région. J'avais pas vraiment les moyens.
Et honnêtement, dans mon groupe, 80% étaient dans le même cas: déjà un bon diplome ou une bonne expérience en QSE, et dans cette formation juste parce qu'il faut bien montrer qu'on glande pas, et
qu'on sait jamais, faut peut-être passer par un stage pour trouver un vrai boulot.
Donc rebelote, j'ai trouvé un joli stage dans une autre boîte qui avait besoin de pas perdre sa certification ISO 14001, et bien sûr, comme d'habitude, sans tuteur
qui s'y connaisse mieux que moi. Du consulting gratos, encore.Parce qu'on aurait pu croire que j'aurais bénéficié des avancées sur les stages, mais je ne sais qui à la Région ou à l'organisme de
formation a décidé qu'un stage de plus de deux mois, si il faut payer, ils risquaient de pas réussir à placer leurs stagiaires. On a donc eu Gérard, 52 ans,
30 ans d'expérience dont 10 en tant que responsable Qualité, qui a fait comme tout le monde 2 mois de consulting gratos dans une petite boîte.Ou Antoine, 57 ans, x années d'expérience chez
Renault et viré comme un mal propre à 3 ans de la retraite, qui fait des formations pour passer le temps et voir du monde, qui a quand même eu son lot de formations en qualité (en 30 ans de
Renault, hein) et qui a pu aussi faire profiter une brave entreprise de son expérience. Le pire, c'est qu'ils ont eu du mal à trouver leur stage, même pas parce que les boîtes cherchaient des
jeunes à former, non, juste parce que deux mois c'est trop court vous comprenez, on n'aura pas le temps de vous confier une vraie mission, on préfère les stagiaires de 6 mois. Et puis c'est vrai
que ça fait bizarre d'accueillir un stagiaire de plus de 50 ans...
Je vous fais grâce des autres profils, mais bon... vous avez compris le principe. Des gens qui n'ont pas vraiment besoin de cette formation, qui n'ont même pas
besoin de réinsertion, juste qui ont besoin d'avoir un but à poursuivre, un truc à faire en se levant le matin, parce qu'ils sont sérieux et travailleurs, alors une formation pourquoi pas, en
attendant de trouver un vrai boulot. Oui, remarquez, c'est peut-être ça la réinsertion...
Je comprends de mieux en mieux les faux stagiaires , ceux qui se font faire des conventions bidons pour aller faire des stages non payés (moi ça ne m'était encore
jamais arrivé, même avant Génération Précaire). Et pourtant je sais en quoi ça pourrit le système, en quoi ça dévalorise le travail de ceux qui bossent pour gagner de l'argent. L'être humain est
ainsi fait qu'il n'est pas un homo economicus, il peut préférer une gratification morale à une gratification financière. C'est comme ça que les métiers considérés comme les plus gratifiants sont
de moins en moins payés. Et je tombe exactement dans le schéma. Ne supportant plus de faire un travail dont l'utilité sociale semblait plus que lointaine, et dans un contexte de management par le
stress totalement rédhibitoire, je choisis de me retrouver à faire bénévolement ce que l'entreprise payerait si elle avait un souci de son impact environnemental et social, mais qu'elle ne paye
pas parce que ça ne rapporte rien. Plus j'essaye d'être utile à la société, moins je suis payée (financièrement) en retour.
Et le pire, c'est que comme ça m'intéresse, je bosse, au lieu de dire "oh c'est bon, au prix où vous me payez, je vais quand même pas vous éviter une amende en
faisant le boulot du responsable environnement que vous n'avez pas embauché, vous la méritez votre amende". Pour pas insulter le chef de site , pour pas partir en claquant la porte et en disant
"embauchez quelqu'un, sinon je peux rien faire pour vous", parce que je l'ai déjà fait et que ça n'a servi à rien , parce que je sais que des milliers de petits stagiaires hygiénistes du travail
et ingénieurs en environnement finiront par venir faire le travail quand même, ben je fais semblant d'avoir un vrai boulot, et j'imagine très fort que je suis payée. Parce que je sais pas bien ce
que ça me coûterait personnellement d'envoyer un dossier à charge à l'inspection du travail ou aux services en charge de l'environnement, et parce que malgré tout vaut mieux faire ce qu'on peut
où on est, et parce qu'ils vont me garder en interim jusqu'à l'été, après mon stage, parce que j'ai bien réussi à faire comme si je m'en foutais qu'ils abusent grave des stages. Et même je vais
appeler mes parents toute contente pour leur dire que j'ai fait bonne impression, que j'aurai un vrai salaire de cadre en interim, comme si j'avais pas fait le calcul de ce que ça donne comme
salaire en moyenne en comptant les deux mois gratos. Comme si je trouvais normal que l'autre stagiaire soit remerciée (à peine) parce que bon quand même elle était moins sérieuse. Berk, berk,
berk. Alors oui, j'ai honte, et je comprends de mieux en mieux tous les comportements absurdes qui fouttent notre société par terre.
*: "wtf": abréviation de "what the fuck", que je ne traduirai pas (j'adore faire des petites notes de bas de page comme les vrais journalistes)