Cela fait deux mois que j'ai quitté mon travail.
J'ai réussi à obtenir une rupture conventionnelle de contrat bien qu'on me l'ait refusée à la première demande. Ils n'avaient aucune raison de vouloir se séparer de moi, et ils recommençaient à embaucher. De plus, je faisais l'affaire au poste où j'étais et ils souhaitaient même me donner plus de responsabilités. Mais toujours sans changement de statut et au même salaire.
J'avais beau avoir un peu plus d'espoir qu'on régularise ma situation en me promouvant au grade d'ingénieur, ça me paraissait assez affreusement cynique de devoir encore être suspendue à une décision venant de Chicago pour qu'on me donne dans mon entreprise un titre que j'avais déjà dans les faits.
De toutes façons, je ne me voyais pas d'avenir dans ce métier, et ce que j'y faisais me paraissait tellement vain qu'il me paraissait absurde de continuer dans cette voie, hormis pour garder un salaire et un semblant de sécurité.
Belle sécurité qui m'amenait chez les médecin de plus en plus souvent. Le burn-out et la dépression sont pour moi un danger plus tangible que l'insécurité matérielle. Mon médecin et mon copain ont fini par me convaincre qu'il n'était pas absurde de chercher autre chose. J'ai peut-être tort de les avoir crus, l'avenir me le dira.
Je veux bien me faire du souci, m'épuiser à la tâche, perdre le sommeil, mais pour quelque chose qui le mérite. J'ai souvent perdu le sommeil d'avoir trop parlé de la violence contre les femmes, d'avoir trop écouté la désespérance des jeunes devant qui toutes les portes se ferment, et ma contribution n'a pas forcément été utile, mais traiter les données d'assurances qui gèrent les plus grandes fortunes du pays ne mérite pas qu'on se rendre malade, à mon avis.
Et voir mon chef exulter d'avoir décroché un contrat au Luxembourg parce qu'enfin on mettait le pied dans un paradis fiscal, je ne pouvais vraiment pas m'en enthousiasmer. La seule chose à laquelle je me sentais un peu utile, c'était à aider mes collègues à n'être pas trop surmenés, à les aider de temps en temps à relever le nez du guidon en riant de l'absurdité de livrer un client un jour férié, à essayer d'être une des personnes qui leur permettrait de mettre dans leur questionnaire annuel d'implication que oui, il y a quelqu'un dans mon travail qui s'intéresse à moi en tant que personne. Mais en être remerciée la plupart du temps par un "c'est bien d'avoir une fille dans l'équipe, ça apporte beaucoup de douceur" ce n'était pas vraiment ce que je cherchais...J'avais un peu envie de répondre "Je vous jure que les hommes ont le droit aussi d'être humains! Oh et puis vous me fatiguez..."
Bon enfin je pense qu'ils survivent même sans leur shoot de douceur féminine (pffff)..
A part ça, le cancer fait des ravages autour de moi et de ma famille. Un de mes oncles est mort à 62 ans, ses deux fils avaient déjà perdu leur mère de la même maladie 5 ans auparavant. Un ami de ma soeur vient de mourir à 41 ans, laissant une veuve et trois enfants. J'ai appris il y a quelques mois que j'avais échappé au gène qui devait multiplier par deux mes chances d'avoir un cancer du sein mais ma soeur va devoir composer avec les examens annuels.
La seule chose que je puisse faire c'est vivre, du mieux possible. Et même si ma décision de quitter le seul boulot stable que j'avais trouvé a plongé ma mère dans l'angoisse, même si j'ai encore parfois ces bouffées de dénigrement qui me font me traiter de bonne à rien, je vis. Et j'aime. Et je me bats (mal, avec tout un tas de désertions dues à ma fragilité) avec ceux qui essayent de changer la société, de nous empêcher de nous rendre de plus en plus malades, qui essayent de le faire dans le respect des plus faibles parce qu'on est tous faibles au moins une fois dans notre vie. Je ne sers à rien mais j'essaye au moins de montrer à ceux qui agissent que je les soutiens.
Et je continue de penser que Sarkozy n'est pas mon président, que je hais ce qu'il fait de notre société. On a tellement de choses à faire pour survivre tous ensemble que c'est une abomination de tout gâcher en attisant les haines. Face à la misère il n'y a pas de nationalité qui tienne, nous somme tous citoyens du même monde et nous sommes tous dans le même bateau face aux violences, face aux désespoirs et aux révoltes. Il faut être naïf pour croire qu'on pourra expulser la violence hors de nos frontières est vivre en paix entre français bien élevés. La violence de ses discours et des ordres qu'il donne crée déjà du désespoir et de la révolte dans ma propre famille, pourtant franco-française. Que cherche-t-il vraiment à part le chaos?