Avertissement: Je me suis lancée à relater tout ça pour mieux comprendre le sentiment d'échec vis à vis de mon mastère à HEC et de ma recherche d'emploi, échecs qui me pourrissent la vie et me donnent parfois envie de me traiter de moins que rien. L'élitisme c'est ça; beaucoup d'attentes de la part de gens qui vous utilisent plus ou moins, beaucoup de sentiment de devoir réussir pour ne pas gâcher ce que d'autres ont considéré comme des talent, et peu de choix... à moins d'avoir un caractère extrêmement bien trempé, caractère que je n'ai jamais eu, ou en tout cas pas au bon moment., et surtout pas maintenant que j'en aurais le plus besoin... (rectification après quelques jours de repos: ça dépend des jours quand même! :p).
J'ai été en classe de première, sans l'avoir choisi, dans une classe "élitiste" de mon vieux lycée de province (ce qui , je vous l'accorde est sans commune mesure avec les lycées parisiens). Seuls y avaient accés les élèves les plus prometteurs (un sondage en début d'années réalisé par mon prof de maths indiquait qu'aucun de nous n'avait eu une moyenne inférieure à 14 en maths en seconde). C'est comme ça que j'ai fait connaissance avec l'élitisme. D'une certaine manière, je l'avais "mérité", au vu de mes résultats scolaires (nous reviendrons plus tard sur le fait que la carte scolaire, bien que ne m'ayant pas épargné un collègue où la réussite au brevet des collèges était loin d'être une chose acquise, m'avait tout de même permis d'accéder à un des meilleurs lycées de la ville adjacente. La banlieue en question n'était certes pas ce qu'on appelle une "cité" de nos jours, mais comptait son lot de familles défavorisées et de problèmes de discipline).
L'arrivée dans cette classe , élitiste donc, ne s'est pas faite sans casse et sans difficultés pour les élèves sélectionnés. Tous consciencieux et soucieux de donner le meilleur d'eux -même, certains ont accusé le coup dans une classe où le niveau "médian" était bien au dessus de la moyenne des autres lycées et ont très mal vécu de passer d'une moyenne de 15 en seconde à une moyenne de 6 en première S; on n'a beau être un élève prometteur, face à l'élite on est peu de choses.
C'est que l'objectif affiché n'était pas d'obtenir le bac, comme dans la plupart des autres classes de première-terminale, mais d'intégrer les classes préparatoires aux grandes écoles, dans lesquelles nos places étaient quasiment réservées dans les lycées de la région. (ces lycées ne se fiaient d'ailleurs pas uniquement aux résultats inscrits sur le bulletin de notes mais aussi à la classe dans laquelle ces résultats étaient obtenus: c'est l'autre facette du mécanisme tant décrié selon lequel on considère qu'un bac obtenu en banlieue vaut moins qu'un bac obtenu dans un lycée d'élite).
C'est à cette période que j'ai commencé à avoir des doutes sur l'impact psychologique de l'élitisme chez des élèves certes brillants mais qui n'avaient pas demandé à être jugés du jour au lendemain comme les élèves médiocres de l'élite. C'est un changement de repère difficile à vivre, surtout à l'âge de 15-16 ans, période de l'adolescence où bien d'autres sujets de préoccupation peuvent amener à un mal-être et à une dévalorisation de soi (difficultés d'intégration dans un milieu dont on ne connaît pas les codes, découverte de la sexualité, investissement excessif de l'image que les autres ont de nous...tous ces problèmes que tous les adolescents rencontrent et qui sont supplantés dans ces conditions par la nécessité de se maintenir à flot sur le plan scolaire, reportant à plus tard les crises nécessaires de l'adolescence).
D'autres difficultés s'ajoutent sur le plan de l'orientation que l'on souhaite donner à sa vie (je dis bien sa vie , parce que l'orientation scolaire, finalement, n'est q'un moyen de donner une orientation à sa vie).
Dans cette classe dont les professeurs n'ont d'yeux que pour les grandes écoles et les classes préparatoires qui y mennent, le choix d'une vie différente est étouffé dans l'oeuf pour qui n'a pas encore un caractère assez affirmé pour ,d'une part savoir ce qu'il veut vraiment, et d'autre part oser l'affirmer face à des parents et profs qui "savent mieux que nous ce qui est bon pour nous". Je garde une certaine admiration pour Patricia qui décida de braver les interdits en s'inscrivant en fin de compte aux Beaux arts, après avoir envisagé le choix plus "raisonnable" d'une école d'architecte ; quel gâchis pour les éleveurs de "futurs cadres" qui nous faisaient cours tous les jours!
Même le prof de français s'extasiait sur nos prouesses en français, "en rien comparable avec ce qu'il observait chez nos camarades de filière L" , et m'avait présentée presque sans me demander mon avis au concours général. Sans aller bien sûr jusqu'à m'encourager à poursuivre mes études dans ce domaine, puisque mieux vaut un ingénieur ou un commercial malheureux -mais au travail- qu'un littéraire passionné mais inutile à la société du CAC40.
Pour nous donc , malgré quelques rebelles comme Patricia l'artiste, Laurence l'instit et Nadège l'infirmière ( elle subissait conjointement la pression des professeurs et la pression de sa mère pour qui instit était le plus indiqué pour une future mère de famille: "pense à tes enfants, aux vacances, aux horaires réguliers!! " ) . Bref , à quelques exceptions près nous étions destinés à alimenter en têtes bien faites les classes préparatoires Maths Sup et HEC des deux meilleurs lycées de la région.
Je tiens à préciser qu'il n'y avait pas de "pression" explicite, mais tout un ensemble de sous-entendus qui laissaient entendre qu'aucune autre carrière n'était envisagrable.
Deux exemples:
rencontre avec ma prof principale en terminale concernant mon orientation (prof de physique -plus jeune agrégée de France en son temps- surnommée Speedy pour sa capacité à remplir un tableur noir en moins de 10 minutes et ses pauses-éclair qui laissaient juste le temsp de rattraper le retard sur le notes qu'on n'avait pas encore eu le temps de prendre). Juste avant l'entretien, j'étais pour ma part d'un grande perplexité. Mon coeur penchait pour Sciences po à cause d'un goût prononcé pour la chose publique mais j'avais renoncé à cette idée suite à la réaction de ma mère quand une prof de sciences économiques en seconde le lui avait suggéré: "ben voyons! et pourquoi pas l'Ena, tant qu'on y est?". (ne me demandez pas en quoi envisager sciences po était plus prétentieux que d'envisager une école d'ingénieurs, seule ma mère le sait...)
Pour cet entretien avec ma prof princiaple, j'avais demandé à mon père de m'accompagner, de peur de ne rien savoir dire. J'ai finalement répété mot pour mot sa suggestion : "je voudrais être ingénieur" (faut-il préciser qu'il est lui-même ingénieur? :p)
Prof de physique: "je vous déconseille la classe préparatoire, j'aurais dit oui sans hésiter l'an dernier, mais ces derniers mois vous avez un peu flanché, je ne pense pas que vous tiendrez le coup"
Moi: "ah bon"
Prof de physique : " et en philo, vous vous en sortez comment"
Moi: "ça va.."
Prof de physique: " Alors faites une prépa HEC!"
Moi intérieurement: "vous oubliez que j'ai un rapport d'amour/haine avec l'histoire. Toutes ces dates à retenir sans jamais avoir le temps de s'intéresser au contexte, à ce que les gens ressentent ou vivent des évènements qui jalonnent l'histoire de la France. Sous la forme où c'est enseigné ça m'étonnerait que j'accroche plus en prépa HEC (passer en un mois des trente glorieuses aux accords de Grenelle sans rien y comprendre, c'est pas mon truc... )" Mais bon , inutile de polémiquer sur ce que je pense de l'enseignement de l'histoire, pour elle, rien n'existe en dehors de maths sup et prépa HEC.
Mon père: mais il existe des écoles à prépa intégrée, où il n'y pas la pression des prépas (vous savez les profs qui vous mettent des notes minables et vous disent à longueur de temps que vous êtes des incapables, que c'est pas comme ça que vous décrocherez les meilleurs écoles, sans même se demander si on peut avoir d'autre but dans la vie que de décrocher la meilleure école...)
Prof: oui, faites donc une école à prépa intégrée..
Deuxième exemple: Autre tentative de discussion avec mon prof de maths
Moi: j'hésite sur mon orientation: mon père m'encourage à faire une école d'ingénieurs à prépa intégrée parce que je suis bonne en maths et pas trop mauvaise en physique. Mais en fait j'ai l'impression que les matières en prépa HEC m'intéresseraient plus (même si je suis pas enchantée de me retrouver avec des commerciaux aux dents longues, mais comme tout est fait pour nous faire comprendre qu'hors Maths sup et prépa HEC, point de salut... je ne pense même pas à autre chose). J'aime mieux les sciences humaines , j'ai l'impression que c'est des matières plus nobles.
Lui: (s'étouffe): Ah bon, parce que les maths et la physique c'est pas noble?
Je comprends que j'ai fait une maladresse, je retourne m'assoir à ma place et j'attends la suite du cours.
Concours général de français
Je passe 6 heures dans une salle, je rends un devoir passable (quand on est dans l'élitisme, le passable, même si ça veut dire que ça ne vaut pas rien c'est quand même nul). Bien sûr je ne suis pas lauréate. Faut pas pousser quand même, je ne suis pas un génie. Vague impression de décevoir mon prof de français. C'est le début des innombrables sentiments d'être toujours quelqu'un qui déçoit. L'estime de moi elle se joue à ça aussi: des gens qui disent croire en mes capacités, et que je déçois. Et en quelque sorte, je m'en veux de décevoir tant de moinde.
Suite au prochain épisode si j'ai le courage et si je ne reçois pas trop de commentaires du genre "de quoi tu te plains, t'avais tout pour réussir, t'es l'unique responsable de ta vie, tu vas pas jouer les victimes!", vu que c'est pour sortir de cette culpabilité qui me détruit que j'écris tout ça.