Allez, je continue sur ma lancée, tant qu'à faire. Vu que je n'ai pas vraiment fait cette étude, vu
que finalement, on ne donne pas de confiture aux cochons et que je me fiche éperdument d'aller faire une présentation à HEC pour des gens qui se diront juste que je suis qu'une sale gauchiste ,
vu qu'à part une lettre recommandée 3 mois plus tard je n'ai pas eu de réaction suite à ce que je leur ai envoyé, je vous refile texto ce que je leur ai envoyé en guise d'amuse-gueule. Merci de
pas trop vous lâcher sur les critiques, oui c'est brouillon et pas documenté, c'était juste des questions que je me posais. Ils auraient au moins pu me répondre "c'est nul votre truc, c'est mal
ficelé, qu'est-ce que vous voulez qu'on en fasse?" ou "comment osez-vous remettre en question votre école ainsi?" Je sais pas moi, juste dire quelque chose...
La responsabilité sociale des Grandes Ecoles
ou
Ce que serait une véritable éthique de la formation des futurs cadres
On prend souvent comme référence d’engagement dans une politique de développement durable, pour une entreprise, la signature du Pacte Mondial des Nations
Unies.
Dans cette étude nous reprendrons point par point ce pacte, afin de réfléchir à ce que serait une véritable politique de Développement Durable pour une Grande
Ecole
Droits de l’homme :
1.
Respecter les droits de l’homme internationalement proclamés et contribuer à la protection de ces droits.
S’assurer qu’elles ne se rendent pas complices de la violation de ces
droits.
Ces deux chapitres nous amènent directement vers la déclaration universelle des
droits de l’homme.
1. Toute personne a droit à l'éducation. L'éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l'enseignement élémentaire et fondamental. L'enseignement
élémentaire est obligatoire. L'enseignement technique et professionnel doit être généralisé ; l'accès
aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite.
2. L'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité
humaine et au renforcement du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations
et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix.
1. Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux
bienfaits qui en résultent.
2. Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels
découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l'auteur.
La phrase qui m’intéresse dans un premier temps est bien sûr celle directement relative aux études supérieures.
"L'accès aux
études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite."
Pleine égalité
L’accès aux études en Grande Ecole est-elle ouverte en pleine égalité à tous en
fonction du mérite ?
Aspect financier
Il est évident que la perception des frais de scolarité des Grandes Ecoles est en totale contradiction avec ce principe, par le simple fait que seules les personnes
pouvant réunir cette somme seront admis.
Même lorsqu’un concours est la condition d’entrée dans l’école, ce qui est tout à fait en accord avec l’allocution « en fonction du mérite », il est
évident que seuls se présentent ceux qui pensent qu’ils seront en mesure de payer ces frais. Quand bien même l’école était gratuite, les emplois du temps sont souvent loin d’être compatibles avec
l’exercice d’une activité rémunératrice. On écarte donc de fait ceux qui n’auraient pas d’autre moyen de subsistance que leur propre travail.
Ces inégalités pourraient à la limite être levées si l’accès au prêt était parfaitement égalitaire, et il faut bien avouer que ce n’est pas le cas : une
caution est encore et toujours demandée, et elle a intérêt à être solvable.
Aspect culturel
N’entrent en grande école que ceux qui y sont encouragés par leur entourage. On
ne peut nier une certaine consanguinité dans ces études, encore plus marquée que dans l’enseignement supérieur public.
"L'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l'homme et des libertés
fondamentales"
A partir de quand peut-on dire qu’une école va à l’encontre du plein épanouissement de la personnalité humaine ?
Est-ce que la concurrence forcenée et le cortège de dépressions qu’elle entraîne n’est
pas un signe qu’on ne va plus dans le sens de l’épanouissement de la personne mais de son dépérissement ?
"Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire
ou artistique dont il est l'auteur."
Quid des travaux produits au cours des études ?
Les travaux réalisés en tant que cas pratique pour des entreprises sont-ils rémunérés à leur juste valeur ? N’y a-t-il pas une clause implicite selon laquelle
l’école est propriétaire des écrits réalisés par ses étudiants ? N’y a-t-il pas pillage des travaux intellectuels des jeunes dans ces conditions ?
Je ne peux m’empêcher de penser au travail réalisé avec Companieros pour EDF… S’agissait-il d’un acte gratuit ? Comment se fait-il qu’on accepte qu’une
production intellectuelle soit payée au tiers qui fait l’intermédiaire plutôt qu’aux créateurs? Dans une entreprise, le travail intellectuel du salarié appartient à l’entreprise ; mais
celui-là en tire une gratification en salaire.
L’éducation est le seul champ où on accepte que la gratification soit uniquement immatérielle (bénéfice de formation…), comme si un salarié travaillant pour une
entreprise ne demandait aucun salaire du fait que sa simple présence dans l’entreprise est formateur pour lui.
Quel est le point à partir duquel une personne peut recevoir une gratification pour son travail intellectuel ? Des étudiants ayant déjà obtenu un bac+4 ou 5 ne
mériteraient-ils pas une gratification pour leur travail intellectuel ? Qu’est-ce qui justifie qu’on leur prélève de la richesse pour leur travail intellectuel au lieu de leur en
octroyer ?
Toute personne a droit au repos et aux loisirs et notamment à une limitation raisonnable de la durée du travail et à des congés payés périodiques.
Cet article mérite également réflexion quant aux rythmes imposés dans certaines écoles…
La notion de congé payé laisse d’ailleurs dubitatif…
On en revient à la question du travail intellectuel et de sa rémunération.
S’il est normal qu’un professeur soit payé pour donner un cours, pourquoi est-il anormal de payer un élève faisant un exposé après avoir fait lui-même les
recherches nécessaires et réalisé lui-même la synthèse des informations pour en faire un exposé clair et facilement assimilable par l’auditoire ? La différence réside-t-elle dans le fait que
l’élève est moins expérimenté que le prof ou qu’il n’est pas « autorisé » à enseigner? Dans le cas où il s’agirait d’une différence de qualité, un mauvais prof devrait-il ne pas
être payé ? Et comment juge-t-on justement de ce qu’est un « mauvais » prof ?
Beaucoup d’étudiants se sont déjà demandé pourquoi un professeur était payé pendant un cours où il ne faisait qu’écouter un élève faisant un exposé. Sans doute
parce qu’il a l’oreille pédagogique, et que pendant que l’élève se produit, il fait son travail de professeur en écoutant et critiquant le travail effectué.
Ou alors, la différence réside dans le fait que le professeur connaît le sujet dont parle l’élève ; il n’est donc pas en train de bénéficier d’un enseignement,
mais de juger le degré d’assimilation que son élève a atteint en suivant son propre enseignement…
Ce raisonnement serait valable pour une simple restitution orale des enseignements donnés par un professeur. Mais on ne peut l’appliquer aux recherches personnelles
effectuées par l’élève. J’en veux pour preuve les sessions de cours pour lesquelles un travail personnel était demandé avant même que le professeur ait eu à intervenir… On ne peut parler de
restitution d’un enseignement quand un élève n’a encore pas croisé son enseignant.
Au-delà de l’aspect philosophique de cette question, c’est toute la valeur du travail qui est questionnée.
C’est dans le problème des stages que cette interrogation se pose de manière cruciale.
Qu’est-ce qui différencie radicalement un stagiaire en entreprise d’un salarié ?
Il y a bien évidemment une différence de statut : le salarié fait partie du personnel de l’entreprise, il participe à la productivité de celle-ci. Le stagiaire
est étudiant, il suit une formation théorique pour compléter sa formation pratique et ne participe officiellement que secondairement à la production de l’entreprise.
Mais dans la réalité la frontière est extrêmement floue, à tel point qu’on a vu se multiplier les offres de stage au détriment d’offres d’emploi pour les jeunes
diplômés. On prend un stagiaire pour effectuer une étude qui ne rentre pas directement dans la productivité de l’entreprise, mais c’est alors tous les postes de recherche et développement qui
seraient ainsi soupçonnés de ne pas participer réellement à la création de richesse dans l’entreprise.
Or le stagiaire amène une réelle richesse à l’entreprise, et cette richesse est au moins immatérielle quand elle n’est pas directement matérielle comme dans le cas
de stages ouvriers.
Encore une fois, la seule différence entre le salarié nouvellement embauché et formé par son collègue ou son supérieur hiérarchique, et le stagiaire formé par son
maître de stage (quand il a la chance d’avoir un maître de stage capable de le former), c’est une différence de statut relativement floue, qui serait aisément remise en cause si les pressions de
l’ordre établi n’étaient pas si fortes.
Sans tomber trop vite dans une lutte des classes , on pourrait se demander si la différence entre le maître et l’élève n’est pas simplement une question de
pouvoir : celui qui se trouve du bon côté de la barrière est gratifié pour un travail intellectuel alors que celui qui est situé de l’autre côté de cette barrière, quand bien même il
fournirait un travail de meilleure qualité, ne peut exiger aucune rémunération en retour de son effort.
Dans une éthique totalement rigoureuse, les deux protagonistes seraient capables de se rendre compte du moment à partir duquel l’élève devient aussi performant que
le maître et mérite de passer du même côté de la barrière et d’être à son tour gratifié pour son travail.
C’est un peu ce qui est en jeu dans la problématique des stages. Les étudiants, situés de fait du côté sans gratification de la barrière, sont incapables de se
rendre compte que leur enseignement est fini et qu’ils sont tout à fait en droit de passer de l’autre côté et d’être enfin rémunérés pour leurs efforts. Ce qui les en empêche relève à la fois
d’une méconnaissance des compétences réelles demandées pour obtenir une gratification et d’un sentiment d’infériorité entretenu qui les garde en position d’être redevable vis-à-vis soit de
l’entreprise pour le stagiaire, soit de l’école pour l’étudiant.
Sur le site de Génération Précaire, on lit beaucoup d’allusions à une sorte de « servitude volontaire » rencontrée chez les stagiaires, alors même qu’ils
ont tout à fait les compétences pour prétendre à un véritable emploi, voire pour remplacer des employés déjà existants (et c’est là que le bât des stages finira peut-être par blesser…).
Cette « servitude volontaire » se rencontre chez la plupart des groupes dits « dominés », tels les femmes, les
noirs dans les anciens pays coloniaux, etc.
Le mouvement des stagiaires, mouvement égalitariste vis-à-vis des salariés peut très bien
se rapprocher des autres mouvements égalitaristes . Bien sûr l’allusion paraît pompeuse, mais il s’agit pourtant bien de bousculer un ordre établi pour parvenir à une égalité de traitement entre
êtres humains. La justification du contrat de travail est-elle réellement plus valable que les titres de noblesse qui justifiaient l’inégalité entre nobles et
roturiers ?
Le mouvement des stagiaires pourrait bien être une action de « Dignité Publique », comme l’écrivait une des signataires…
Qu’est-ce qui pousse tant de jeunes brillants à préférer payer qu’être payé pour autant voire plus d’efforts que dans un
travail salarié ?
C’est sans aucun doute le manque de confiance en leur capacité à se faire seul une bonne situation plus que l’attrait de la connaissance. Dans une société où
l’information est disponible partout et pour tous, les universités et les écoles ne sont plus des temples du savoir dont il faut franchir le seuil pour accéder à la connaissance. Le suivi
pédagogique est également rarement tel qu’il faille être en relation avec les professeurs pour être capables de développer des capacités. Les élèves qui arrivent en Grande Ecole ont d’ailleurs
déjà largement prouvé leur savoir-apprendre.
Les études supérieures sont-elles un loisir de luxe pour personne désireuses de continuer à apprendre en se faisant fi des nécessités matérielles de travailler pour
vivre ?
Cela pourrait l’être sans l’importance démesurée des diplômes dans la recherche d’un emploi.
Non, définitivement, les étudiants ne sont pas des esprits immatériels se moquant des contraintes que subissent leurs semblables. S’ils acceptent de ne pas gagner
leur vie, de ne pas être indépendants, de même payer pour leur subsistance pendant le temps de leurs études, c’est soit par attrait d’une situation enviable pour la suite, soit par peur d’une
situation extrêmement désagréable s’ils n’obtiennent pas ce fameux diplôme. Certains font encore des études par goût, mais l’attente d’en tirer une amélioration future de leur situation est
toujours présente, et aucun n’accepte facilement qu’on lui dise qu’il a fait toutes ces études « pour rien ».
Ils font d’ailleurs parfois des sacrifices démesurés pour ce « loisir », comme perdre leur santé en nuits sans sommeil, en alimentation carencée et en
prise d’excitants ou de dopants, comme se priver de vie sentimentale et amicale. Est-ce la seule passion pour leurs études qui les mène à ces extrémités? Rarement, malheureusement…
Il s’agit plus souvent d’un sacrifice consenti dans l’espoir d’un avenir meilleur. Et le système s’effondre lorsque le jeu n’en vaut plus la chandelle…
Les Grandes Ecoles jouent sur ce « pari » ; mais peuvent-elles encore garantir un meilleur avenir à leurs élèves ? Que dire à ceux qui perdent
plus qu’ils ne gagnent dans ce jeu de roulette russe ?