Je rêve d'une société où tout le monde aurait le droit de vivre. Par le simple fait de faire partie de la société. Une société où on ne se demanderait pas si tu mérites d'avoir un toit ou si tu mérites d'avoir de quoi manger. Une société où le simple fait d'être un être humain donnerait droit à des conditiions de vie dignes.
Je sais que tous ces droits sont inscrits dans la déclaration universelle des Droits de l'Homme (droits humains, j'aimerais bien), mais aussi dans la constitution française, plus ou moins. Mais je sais aussi que le droit au logement, juste pour prendre un exemple, c'est loin d'être gagné. Surtout quand on en a déjà un, ce qui est souvent le cas des jeunes: "retourne chez tes parents , au lieu de traîner dans la rue ou dans des squats!".J'ai déjà essayé d'expliquer à une conseillère en insertion que pour être capable de trouver un travail, il fallait d'abord m'éloigner d'une mère toxique pour que je me reconstruise une identité. "Vous savez bien que sans CDI on ne trouve pas de logement!". Elle n'avait pas tort bien sûr. Je n'ose pas imaginer la situation d'une femme battue.
Alors quand je me mets à rêver d'une société idéale, je rêve d'un revenu universel. D'un droit inaliénable à avoir de quoi vivre, qu'on soit malade, bien portant, beau, laid, jeune, vieux, fort, faible, petit, grand, valide ou non, sain d'esprit ou non.
Et comment ferait-on marcher la société si personne n'avait besoin de travailler? En payant en plus les travaux réellement utiles. Les riches seraient les éboueurs, les ouvriers du bâtiment, les agriculteurs, les enseignants, les infirmiers, les travailleurs sociaux,
les policiers. Un peu le contraire de ce qui se passe actuellement, en somme.
Aujourd'hui, pour gagner de l'argent, il faut travailler pour les gens qui ont de l'argent. Mieux vaut être conseiller en patrimoine qu'assistant social. Mieux vaut faire des formations en management pour les cadres supérieurs que d'être instituteur de maternelle. Mieux vaut vendre des montres de luxe que des légumes. Et comme ça, toute la société se dirige vers de activités inutiles au plus grand nombre plutôt que vers ce qui est utile aux plus fragiles.
Et je crève de l'inutilité de ma vie de travailleuse autant que d'être jugée à l'aune de ce que je gagne.
Pourquoi mon père à la retraite a le droit de se rendre réellement utile en faisant du soutien scolaire à des enfants défavorisés pendant que je m'esquinte à faire des applications informatiques inutiles pour des banques qui n'acceptent que les plus nantis et qui ne savent pas investir leur argent autrement qu'en changeant une n-ième fois leur système d'information? Et même dans la conception de ce système d'informations, ce qui prime au quotidien c'est une guerre de moyen au détriment de la qualité du truc. Ils ont fait la bêtise de valider des spécifications qui ne répondaient pas à leur besoin? On leur fait ce qui est marqué dans les spécifications. On leur fera payer les modifications quand ils se rendront compte que ça ne répond pas à leur besoin. Plus tard. Quand ça sera encore plus difficile à changer. Quand ça demandera des heures de travail absurde à des développeurs qui se rendent bien compte qu'on aurait du le faire bien plus tôt. L'argent organise l'absurde.
Dans ma société idéale, la volonté de donner à tous une vie qui ait du sens serait ce qui guiderait les investissements, et on n'essaierait pas de faire croire aux gens que c'est d'aller vers les activités qui brassent de l'argent qui a du sens.