Dans un domaine qui ne m'a jamais intéressée plus que ça, dans une boîte dont le nom même me filait des boutons quand j'étais au chômage, de nouveau enfermée dans une boîte dont j'aimerais décoller l'étiquette tellement elle ne me corresponf pas.
Mais j'ai mon CDI.
Je n'ai plus de trous dans mon compte en banque, je peux penser sérieusement à chercher un vrai appart, je vais peut-être réussir bientôt à rembourser l'emprunt contracté pour mes études. Ma maman dort mieux, mon papa est content, mon copain moins inquiet, ça y est on peut faire des projets.
Mes anciens amis de mon forum de dépressifs n'ont plus de nouvelles de moi, ma psy est en vacances, les lecteurs de mon blog envoient des robots pour voir si par hasard je n'aurais pas repris mes élucubrations.
Non, je travaille.
Enfin j'essaie.
Premier projet catastrophe, mais on est tous dans le même bateau, j'ai encore l'oeil neuf de celle qui vient d'arriver d'un chomage militant et chaleureux, je les aime bien, je viens pour les voir, et je travaille de mon mieux pour leur éviter trop de stress. La solution technique choisie est pourrie? Les précédents développeurs ont tout fait de travers? L'ancien chef de projet s'est fait débaucher à prix d'or en laissant tout en plan? Toutes les équipes ou presque ont été modifiées pour cause de changement de prestataire? C'est pas grave, allez, on est tous des êtres humains, on va faire ce qu'on peut, et si on est en retard, c'est pas grave, tout le monde le sait que ce projet est un fiasco, on ramasse les morceaux et si finalement ça marche on sera contents... Je pars presque la larme à l'oeil, en espérant un peu de pause intercontrat, avec l'impression de quitter le navire à mon tour. Ok, j'apportais pas grand chose mais bon je faisais partie de l'équipe, quoi...
Je me dis que je vais surement avoir un peu de disponibilité, je me dis que finalement je pourrais me former à des tas de trucs qui me seraient utiles autant dans mon boulot que dans mes rôles militants (je suis dans l'informatique, bien sûr).
J'avais deux semaines de vacances, pour revoir ma grand mère et ma tante, me laisser bercer par une vie bien réglée et sans surprises, remettre les pieds sur terre, lacher les écrans et les portables et réapprendre à faire les gestes de la vie simple, préparer la table, m'intéresser aux petites contrariétés de l'âge qui s'avance, "et ce médicament, c'est pour quoi?" essuyer la vaisselle, "va te reposer bonne-maman, on s'occupe de la vaisselle" , et puis faire la traditionnelle partie de scrabble, la ballade sur la digue...
Et puis dring, je retrouve le portable au fond du sac de voyage, j'imagine un message de mon chéri. Non, c'est "Sandy, du staffing", qui sait que je suis en vacances mais qui se permet quand même de me déranger parce que machin, du projet truc, voudrait me parler au téléphone. La seule chose qu'elle sait du projet, c'est que c'est à 1h30 de Paris.Je n'ai eu que quatre jours de tranquilité.
Je voudrais dire non, mais je ne sais pas comment faire. Est-ce que j'ai vraiment le droit? Est-ce qu'on va me pourrir la vie si je le fais? Je sais pas, je suis pas très résistante au stress, je préférerais éviter toute cause éventuelle de harcèlement psychologique.
Je laisse traîner, je suis en vacances après tout, mais ça me trotte dans la tête, pas moyen de prendre une décision. Bon, je dirai que le portable ne passait pas. Ils trouveront quelqu'un d'autre d'ici la fin des vacances... mais quand même ça m'inquiète, je ferais mieux de rappeler pour dire que non, vraiment, ça ne me dit rien.
Une semaine plus tard, je suis avec ma famille: parents, soeur, neveux... Ok papa, t'as raison, je vais quand même rappeler, et puis c'est peut-être pas si insurmontable que ça, le trajet... Je suis plus aussi fragile qu'avant, ça va mieux là, j'ai mûri...
Ils n'ont trouvé personne d'autre. Il n'y a personne qui connaisse ce fouttu logiciel auquel j'ai à peine touché; le seul développeur expérimenté est toujours sur l'ancien projet, et puis il a eu deux longs arrêts maladie.
Une petite voix optimiste me dit qu'après tout, c'est sympa de jouer l'homme providentiel (la femme providentielle?), on va tenter.
J'ai retrouvé mes bonnes vieilles crises d'angoisse dès le deuxième jour. Je suis pas à la hauteur, c'est évident, je le dis, je le répète, j'écris à la fameuse Sandy, je suis pas compétente, je le sais, j'ai pas le temps de me mettre à niveau. C'est le grand chef qui me répond que je n'ai qu'à contacter machin l'expert. Mon chef direct aussi a contacté son "machin l'expert " à lui. Vue que je suis la soi disant experte du projet et que les autres développeurs ne savent rien de ce que je dois faire, je me sens vachement avancée. Je n'arrive même pas à isoler des questions qui me feraient avancer, alors contacter machin truc pour lui dire "je comprends rien, je veux partir, au secours", je doute que ça soit utile.
Là ça fait trois semaines. Et ce matin j'ai pété un cable. Rendez vous à 8h45 pour revoir une spec dans laquelle j'ai mis un peu n'importe quoi et où chaque ligne me plonge dans des abimes d'interrogations sur "comment je pourrais faire ça?? Qu'est-ce que ça veut dire ça?". J'ai même pas le courage de démêler l'écheveau. C'est juste un putain de projet dont je me fous et pour lequel j'ai même pas eu les formations de base.
Je veux pas y aller, c'est pour ça que je voulais pas travailler , pas me retrouver dans ces situations de merde où j'ai juste envie de dire "mais j'en sais rien, moi!" J'aime bien travailler quand je sais ce que j'ai à faire, quand j'ai un espoir d'avancer, pas quand je sens qu'on veut que j'y arrive malgré moi. J'aime le travail d'équipe quand on avance dans la même direction, pas quand on se partage les taches pour dire "chacun sa merde et dieu pour tous". Toute seule, je ne vaux rien. Et quitte à être seule, je fais l'ermite. C'est toujours mieux que faire semblant d'être zen et détendue devant des gens qu'on supporte à peine.
On est bien avancés , hein?